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Aout 2016

Birmanie . Dawei

Gares 

Les gares dans cette région du sud de la Birmanie sont des lieux surprenants. A la fois abandonnées et pleines, elles sont jalonnées de campements qui s’improvisent et persistent par-dessus des structures laissées vacantes. On ne sait jamais à quel point les gens que nous côtoyons sur ce quai attendent, 

le prochain train, le prochain jour, rien de particulier. 

Les passages sont rares et il n’y a pas d’horaires. Un train vient tôt le matin, un autre en fin d’après-midi, les repères sont relatifs, et on s’organise en fonction de ce paramètre. Ici, ça ne paraît pas approximatif, c’est ce qui est possible.

 

A Dawei le vent du soir s’est levé. La ville se regroupant sur le mont, la vallée présente peu d’obstacles et les bourrasques s’engouffrent le long des quais, agitent l’herbage qui pousse le long des nombreuses voies abandonnées et froissent les toiles tendues entre les armatures métalliques. 

L’enceinte dont l’apathie des habitants avait sculpté en dur un idéal de vacance est prise d’assaut par ce souffle sauvage. Les garçons qui jouaient au ballon sur les rails s’en amusent et sortent leurs cerfs-volants qu’ils pilotent habilement entre les caténaires. Ils grimpent les amas de détritus qui s’effondrent sous leur poids, renouvellent jusqu’à se tenir droits, immobiles, au sommet de cet équilibre précaire. 

Ceux de la citadelle, eux, s’extirpent des méandres de la ville et on entend leurs rires couver les toits, une nappe de jambes par-dessus nos têtes trotte de maison en maison à la recherche du lieu précieux où le couloir de vent s’engouffre dans un goulot. Partout dans la ville et la campagne, les enfants sont joints à un cerf-volant qui est balancé du même vent. Chaque partie, chaque quartier s’ouvre au ciel dans l’espoir d’en déchiffrer une idée. Mais le plastique du jouet frémit comme celui de l’habitat disséminé le long de la gare et il y a à cet endroit une forme de vérité à reconnaitre la réelle vulnérabilité de ce qui s’érige.

 

Les filles jusqu’alors auprès de leurs mères les rejoignent pour contempler la dextérité jouer avec le vent. Çà et là, des femmes s’échangent les habits qui en quittant leurs fils se sont dispersés et ont tapi de couleurs crues les surfaces cimentées.

Il y a dans cette manière d’habiter, même soumise à cette soudaine agitation, une inertie latente, une harmonie qui paraît immuable. On oublie que la gare est un lieu symbolique de traversée et de passage, un lieu qui collecte habituellement des vies pudiques et étrangères les unes aux regards des autres. 

Ici, c’est le contraire qui se produit, en étant immédiatement admis au cœur d’une activité battante, nous sommes le témoin de chaque modeste volupté. Le son d’une sirène retentit et se prolonge en échos de part et d’autre de la vallée. La vie qui s’écoulait avec beaucoup de passivité s’éveille d’une brusque impatience, s’orchestre et se courbe.

 

La nature de l’attente se transforme puisqu’elle est désormais assujettie à un point disposé en avant. En un instant, chaque élément se scinde de l’ensemble et se trouve retenu en lui-même, pris dans une suite de projections personnelles. On croirait reconnaître l’agitation sourde qui arque un cours d’eau, le gonfle d’une voûte en amont des rapides. Le vent prend un court moment l’engin de ferraille pour totem et débarque.

Il s’arrête, deux mondes étrangers se frottent. Je vois de derrière les cabanes de fortune sortir des hommes avec de larges plateaux en métal recouverts de riz. Des poches en plastique contenant des bouillons avec des couleurs et des herbes différentes ballotent suspendues. Ils montent, sillonnent les wagons pour écouler une marchandise qui semblait avoir pris racine. Certains voyageurs, eux, descendent pour uriner contre le premier accessoire vertical qui pallie à l’absence de muret.

Aux fenêtres, des bras échappent à la grille et pendent pour jeter une fin de repas, les écorces d’une graine. Les animaux guettent quelques restes et s’aventurent sur la voie La sirène retentit à nouveau, le train lentement cherche sa vitesse le long du quai comme s’il s’en servait d’étalon, alors que les échanges entre les deux mondes se poursuivent avec nonchalance, certains d’aboutir à bon terme. On monte, on descend, on clôt les dernières transactions avec une consciencieuse honnêteté. Le train disparu, la gare redevient une demeure et je sais qu’elle veillera cette nuit sur moi.

 

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Insomnie 

Insomnie à dessiner dans un salon de thé pour routiers. J’évite les hordes de chiens qui trônent sur la nuit. Mais je ne peux pas éviter les nombreux rats attirés par la nourriture. Je me réfugie dans le dessin pour contrôler mes nerfs. Avec le jour je peux enfin découvrir les quais de la ville. Dans la brume matinale, la flotte birmane est superbe de désuétude. Les navires ressemblent à de larges pantins encordés, tout somnolant, bercés par les remous de l’eau.

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Thomas
Porte
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