Janvier 2017
Cambodge . Kompong Luang
J’ai atterri au Cambodge dans la nuit. Un rickshaw me ramène en ville.
Plaisir de retrouver la nonchalance cambodgienne. Le rythme doux de la campagne et des gens qui se laissent glisser avec les saisons. Autour de moi le paysage s’invite dans l’obscurité la plus totale. Le chauffeur guilleret, sifflote et chantonne des airs enjoués. Loin d’être intimidé par ma présence, ni à la recherche d’un auditoire, il est en lui-même.
Dés les premiers instants le pays s’offrait par cet air. Ou plutôt ces deux airs.
Celui sifflé et celui de l’atmosphère moite aux odeurs de céréales qui comme de douces mains me caressaient le visage et les bras.
Dans cette absence d’horizon, dans cette réduction d’images, il y avait une sensation d’intimité, quelque chose de sensuel, de charnel.
Je dépose mes affaires à l’hôtel et reprend dans un bar de Siem Reap la soirée débutée à Hanoï.
Le Tonle Sap exerce sur moi un très grand pouvoir de fascination. Ce qu’il établit de relation entre l’homme et son environnement naturel a quelque chose d’unique.
Il me rappelle les propos de Le Clezio qui met en balancement l’architecturé et la nature.
Partout dans le monde, lorsqu’il y a un regroupement d’hommes sur un territoire, à mesure que la densité se fait importante l’architecturé réduit la nature à une domestication et l’assimile.
La terre est alors possédée, les libertés de franchissement sont réduites, canalisées. Des inégalités se creusent.
Du fait des marées saisonnières du grand réservoir du Mékong, ces plaines demeurent indomptées.
Deux types de société cohabitent. L’une nomade, pêcheuse, cueilleuse sur ses navire-maisons accompagne les déplacements du rivage sur plusieurs kilomètres. Elle se forme en d’étonnants quartiers au mouvement perpétuel. Embouteillage de maisons dans le « chenal » principal. Dans l’attente, les hamacs tanguent sur le pont dans la pénombre des auvents. Derrière un potager nettement fleuri, une vieille femme accroupie sur le sol prépare des serpents pêchers à la main. Elle est scrutée attentivement par plusieurs chats qui se toilettent autour d’elle. Un trou au sol d’un mètre sur un mètre permet de voir l’eau sous le bateau frétiller. Un caisson grillagé permet de conserver le poisson frais et de le faire grandir.
Une seconde embarcation est accrochée à la poupe. Elle ressemble à grande cage en bois de la taille d’une voiture. Sa ligne de flottaison est basse. On entend couiner des porcs.
Échoppes, églises, stations services, temples, tout flotte, tout suit les légers remous du lac. Le matin il faut réapprendre une nouvelle organisation de l’ensemble, différente de la veille. De fines barques blindées d’écoliers tentent de se frayer un chemin pour rejoindre plus loin, le pont de l’école.
La seconde partie est sédentaire. Agriculteurs, éleveurs, leurs cabanes sont imposantes, perchées sur des échasses de bois.
À la saison sèche, l’espace forme entre elles de larges rues ensablées. Je m’y promène. Sous la cabane, la forêt de pilotis laisse la vue s’égarer vers l’horizon. Du tohu-bohu de matières amassées à l’ombre des maisons j’entends des voix enfantines me saluer par des juhm riab sua, des good morning. Un enfant virevolte autour de moi, pouffe de rire en répétant « hello mister everybody »
Je ris avec lui.
Plusieurs niveaux de plateformes sont accrochés aux pilotis. Ils forment de larges plateaux jusqu’à atteindre le véritable seuil de la maison. Chacun dispose d’une fonction. Stockage du bois et des petites embarcations, poulailler, potager dont l’abondante végétation s’étale et déborde, estrade pour faire la cuisine .
Toute la vie journalière est tourné vers l’extérieur. L’habitat apparaît comme un gant retourné. Ces maisons dressées sur leurs talons ont une démesure printanière.
Au sol, des épiceries de fortunes sont fébrilement érigées. Chaque maison est un restaurant, un commerce. Je choisis de m’arrêter dans l’une d’entre elles. On m’ouvre l’une des grandes glacières rouges, parmi les stocks de glaçons, j’y pioche une boisson fraîche. Puis, on me présente 6 casseroles dont on soulève une à une le couvercle pour que je choisisse mon assortiment avec le riz. Enfants et parents rigolent de la situation.
En repartant, je traverse un marché. Un homme insiste pour m’offrir une pastèque. Pour me faire plaisir il m’offre la plus grosse. Seul, à vélo je ne suis pas sûr de pouvoir honorer ce fruit jusqu’au bout. Le voyant faire, un autre marchand insiste pour m’en offrir une également. Je la charge par politesse et voilà mon sac tendu par ces deux excroissances et bien alourdi. Un autre acourt à son tour avec un troisième fruit. Un peu navré, je la refuse. Il repart puis revient bien décidé tenant de ses deux mains un grand poisson encore vivant qu’il me tend. Je ne peux retenir mon fou rire et me confond en excuse pour refuser à nouveau son présent.
Plus loin, je rejoins un des chenaux qui alimente le lac. Un groupe d’hommes pêche, semblables à des crocodiles. Seule leur tête, brunie comme un cuir sort à peine de l’eau. Affleurant la surface les yeux noirs fixent le moindre mouvement. Ils pêchent de l’intérieur des fleuves.