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Janvier 2017

Vietnam . La baie de Tu Long

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Depuis le début du voyage, près de 35 jours, pas une nuit à dormir au même endroit que la veille. Je mordais de fatigue chaque soir un nouveau lit. Mais enfin je m’apprête à ralentir un peu sur cette île de 15km de long appartenant à l’archipel de Thu-Long. Indissociable de la multitude d’îlots parmi cette eau émeraude, elle regroupe 70 habitants. Lieu féerique flottant hors du temps.

Je l’arpente, l’éprouve, suis ses plantations ordonnées dans le sable, découvre dans la continuité un cimetière. Mise en scène troublante que ces petites répliques de maisons, en tressage de bambou, refermant un dôme de sable qui figure la bosse du mort. Les vents violents arasent le talus qui s’extirpe légèrement de son habitat. Aspiration ?

 

Le sable ici recouvre tout. Les gens s’accommodent de l’impermance d’un objet dans son retour à la simple matière. Par l’impétuosité du temps, la forme manufacturée est altérée, lacérée, séparée.

Il n’est plus d’objet chaise mais un amoncellement de bois échoué sur lequel on s’assoit. Il n’est plus de toit mais un patchwork de tissus rapiécés agités par le vent qui procure une ombre mouvante. On poteau est un arbre dont on peut voir à l’amorce des branches élaguées le départ de nouvelles tiges. Les dalles de terre cuite s’enfoncent dans le sable et à la périphérie elles glissent, semblant s’échapper de leur base.

 

Si j’ai tort de conférer aux objets des émotions, lorsque le temps souffle en eux comme dans un instrument, je me découvre sensible à la mélodie qu’offrent la vibrations de leurs organes et je les perçois alors impressionnés. Peut-être à cet instant, décrire la matière ne suffit plus et je me laisse traverser par un péché d’anthropomorphisme. 

 

Le soir j’assiste au grand dépeçage des méduses. Elles sont triées, vidées, séparées. Puis, chaque tas est jeté dans de grands puits que l’on remue violemment. L’engrenage fait gronder le sol. Ils en ressortent un liquide épais et gluant dont je ne comprends pas l’usage.

J’observe les dépeceuses sur le quai, accroupies sous leur filet d’ampoules. L’une d’elle a oublié son travail et m’observe avec insistance.

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Rien, depuis quelques temps ne pousse et s’oblige à dessiner les racines d’un tourmentant avenir.

Ici, les blessures ne guérissent pas. L’air salin entretient la béance, le vent la féconde et la chaleur la fait vomir. S’il n’y a pas de promesses de guérison, nous apprenons à aimer la blessure, et même, au travers d’une meilleure attention, la reconnaissance du soufre. Le corps ne se régénère plus, il devient scarifié, collecte ses traumas.

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L’indépassable fantasme d’un danger et l’expérience de mon avenir se manifestaient par un parfum de cendre qui précédait l’incendie.

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L’expérience est une érosion. 

Pour certains elle fait naître la nostalgie de ce qui était, pour d’autres,

elle sculpte le paysage toujours plus fidèle de la rencontre entre un être et le temps.

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L’être, perçant la matière, en faisait pousser le corps de l’intérieur.

Il grandissait, et à mesure qu’il s’épaississait, se sécrétait une substance en dur, qui se distinguait de la sève.

Une écorce se formait, creusant des sillons 

dont on pressentait les reliquats de la volonté.

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L’expérience que je souhaitais du monde se faisait plus précise, je renouais avec lui à la manière d’un enfant qui se promène dans un jardin inconnu et pour qui les haies, les frontières et les bordures n’ont pas de significations.

Il va sentir les fleurs, goûter les fruits, s’allonger dans l’herbe pour regarder la manière dont chaque cime d’arbre se balance, s’émerveiller de la signature de chacune, toujours singulière, écouter le vent souffler parmi ces instruments.

Je renouais avec le territoire par sa face la plus vaste et la plus secrète.

J’errais en dormeur éveillé, je me laissais bercer par le mouvement dans une vigilance éthérée. Le mouvement représentait cette seule demeure d’où j’échappais au mal de terre.

 

C’est pris par une flânerie intense, émergeant d’une fainéantise flamboyante, que l’acte se découvrait. Le retour à un agissement était pur duel, l’énergie d’une volonté s’opposait à la résistance d’un élément. La conséquence était inexorablement une victoire accentuée d’une défaite. Il fallait vivre avec la compagnie de ce corps qui sent par ses deux faces. 

 

De toute lumière naît une ombre, toute chaleur se consumant provoque un mouvement d’air froid. Alors la sagesse serait d’étendre cette dialectique de perception et de reconnaître les revers de la vertu.

Ainsi, l’exigence me portait à essayer de reconnaître les formes nocturnes des valeurs qui somnolaient à l’ombre de mes peurs comme si toute mon existence avait pour condition de développer cette infidélité à un moi-même originel. Cette reconquête d’un soi qui m’est inconnu mais non pas étranger se fait dans les circonstances où les attaches et les espoirs m’abandonnent. 

 

L’errance, en s’improvisant de l’intérieur par l’extérieur et inversement fait naître une conscience en extension, les combats, même s’ils n’aboutissent pas, peuvent être confiés. Ils sont comme une matière en irruption dans le monde des mots. En contact d’un environnement jusque-là étranger, ils accompagnent le temps par la concrétion, à la manière d’une lave qui peu à peu se minéralise.

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Thomas
Porte
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