Janvier 2017
Cambodge . Kompong Chnang
La plaine qui borde et parfois accueille le lit du lac semble traverser un printemps incessant. Les ombres s’étirent lorsque le soleil flirte avec l’horizon. La terre rouge n’a pas été adoucie par les eaux depuis longtemps et elle craquelle.
Aucun édifice, pas d’arbres non plus, juste un territoire comme offert à la seule puissance du feu. De fines brindilles séchées émergent et se dressent.
Un camion de chantier est stationné au bord de la route pour qu’il soit rempli de sable. Une musique assourdissante provient de ses enceintes. Dans l’ombre du véhicule six jeunes garçons dansent sur un air de Shakira, chacun avec sa pelle. Ils s’amusent par une douce simplicité, s’observent et jouent à celui qui arrivera à bouger son corps avec le plus de fidélité à celui de la chanteuse. Ils imitent les fumées des plateaux télévisés en utilisant leurs pelles pour agiter le sable, la poussière reste en suspension et dissimule leurs jambes. Ils ont dix-huit ans. Loin d’être arrêtés par mon regard, ils éclatent de rire face à la soudaine impudeur de leur danse qui sans spectateur se perdait dans cet environnement désertique.
A peine déstabilisés, ils insèrent sans subtilité un geste de fraternité à mon égard dans une chorégraphie qu’ils caricaturent encore un peu plus afin de rendre cette dérision contagieuse et de m’entraîner avec eux. Ce pas d’écart posé, officie comme un clin d’œil, il est une acceptation de l’artifice tel qu’il est.
Ils vivent cette situation comme un supplément de curiosité. Pour connaître l’autre dans les subtilités de son caractère, il faut aussi savoir comment il sait réagir à la légèreté du jeu.
Le connaître dans cette intimité-là, c’est le rencontrer dans ce qu’il est, en annihilant une part de ses inhibitions. J’aime ce mélange d’abandon de soi et ce désir de surprendre car à l’intérêt se mêle une confession. Leur danse s’est faite chahuter par l’incident avec un grand bonheur. C’est tout le charme qui habite l’existence et l’esthétique de cette région, une joyeuse accumulation d’opportunités saisies et prolongées d’un immense sourire.