Aout 2019
Bolivie . La laguna celeste
Albert camus, Noces:
"Mais si longuement frotté du vent, secoué depuis plus d'une heure, étourdi de résistance, je perdais conscience du dessin que traçait mon corps. Comme le galet vernis par les marées, j'étais polis par le vent, usé jusqu'à l'âme. J'étais un peu de cette force selon laquelle je flottais, puis beaucoup, puis elle enfin, confondant les battements de mon sang et les grands coups sonores de ce cœur partout présent de la nature. Le vent me façonnait à l'image de l'ardente nudité qui m'entourait. Et sa fugitive étreinte me donnait, pierre parmi les pierres, la solitude d'une colonne ou d'un olivier dans le ciel d'été. Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d'ailes qui affleure, cette vie qui se plaint, cette faible révolte de l'esprit. Bientôt répandu aux 4 coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pales autour de la ville déserte. Et jamais je n'ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde."
Claudel « le sédentaire »
« J’habite le plus étage et le coin de la demeure spacieuse et carrée. J’ai encastré mon lit dans l’ouverture de la fenêtre, et, quand le soir vient, tel que l’épouse d’un dieu qui monte avec taciturnité sur la couche, tout de mon long et nu, je m’étends, le visage contre la Nuit.
A quelques moment soulevant une paupière alourdie par la ressemblance de la mort, j’ai mangé mon regard à une certaine couleur de rose. Mais à cette heure, avec un gémissement émergeant de nouveau de ce sommeil pareil à celui du premier homme, je m’éveille dans la vision de l’or.Le tissu léger de la moustiquaire ondule sous l’ineffable haleine. Voici la lumière dépouillée de chaleur, même, et me tordant lentement dans le froid délectable, si je sors mon brans, il m’est loisible de l’avancer jusqu’à l’épaule dans la consistance de la gloire, de l’enfoncer en fouillant de la main dans le jaillissement de l’éternité, pareil au frissonnement de la source.
Je vois, avec une puissance irrésistible, de bas en haut déboucher l’estuaire de magnificence dans le ciel tel qu’un bassin concave et limpide, couleur de feuilles de mûre. seule la face du soleil et ses feux insupportables me chasseront de mon lit, seule la force mortelle de ses dards. je prévois qu’il me faudra passer la journée dans le jeûne et la séparation. Quelle eau sera assez pure pour me désaltérer? de quel fruit, pour en assouvir mon coeur, détacherai-je avec un couteau d’or la chair?
Mais après que le soleil, suivi comme un berger par la mer et par le peuplades hommes mortels qui se lèvent en rangs successifs, a achevé de monter, il est midi, et tout ce qui occupe une dimension dans l’espace est enveloppé par l’âme du feu, plus blanche que la foudre. Le monde est effacé, et les sceaux de la fournaise rompus, toutes choses, au sein de ce nouveau déluge, se sont évanouies. J’ai fermé toutes les fenêtres. Prisonnier de la lumière, je tiens le journal de ma captivité. Et tantôt la main sur le papier, j’écris, par une fonctionne rien différent du vers à soie qui fait son fil de la feuille qu’il dévore. (…)
Ah, s’il est enviable de se dissoudre dans l’étreinte flamboyante, enlevé dans le tourbillon du souffle véhément, combien plus beau le supplice d’un esprit dévoré par la lumière!
Et quand l’après-midi s’imprègne de cette brûlante douceur par qui le soir est précédé, semblable au sentiment de l’amour paternel, ayant purifié mon corps et mon esprit, je remonte à la chambre la plus haute. (…)
Je ne considèrerai plus, arrachant mon regard à la science angélique, quel jardin est offert à mon goûter et à ma récréation. »