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Aout 2019

Bolivie . La route de San Pedro d'Atacama

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J’ai campé la nuit au bord de la lagune céleste. J’ai pris du retard en voulant visiter le désert de Dali. Le vent s’est levé et la dernière ascension fut terrible.

Je dois trouver rapidement un renfoncement pour planter la tente à l’abris du vent. Le soleil est déjà derrière le Licancabur et le froid s’intensifie. J’abandonne l’idée de me faire un repas, me réfugie dans mon sac de couchage, tout juste je tend la tête hors de la tente pour regarder la silhouette du volcan élu comme l’un des plus beaux au monde. Il est vrai que ses versants s’élancent dans des courbes bien tirées, qu’il s’approche d’une symétrie sans y répondre absolument, le cratère offre une contre courbe claire sans être brutale. Du haut de ses 5916m il domine calmement mon campement situé à 4530m d’altitude.

Entre lui et moi la laguna céleste sertie d’un anneau blanc renvoie le bleu crépusculaire du ciel.

 

Je m’endors épuisé en oubliant de ranger mon eau dans le sac de couchage. La nuit à -14 degrés me rendra un glaçon qui fait pression sur la bouteille et que j’ai dû chauffer pour boire .

Le lendemain je range ma tente pour la dernière fois. La difficulté de ce territoire a développé une sorte de complicité. Je crois que c’est un sentiment naturel qu’éprouvent les hommes d’entretenir un lien affectif fort avec un environnement, un animal qui les amène à découvrir une force, une endurance qu’ils ne pensaient pas détenir. 

Je me prépare à l’idée que ce soir je tirerai un trait sur ce paysage lunaire, qu’en rejoignant le Chili les signes de civilisations réapparaîtront bien rapidement. Dernière ascension à 4800m,  je goûte comme si c’était la dernière fois la résistance que la pente oppose à mes muscles. Comme souvent sur la piste du sud-Lipez, les cailloux se dérobent et ma roue dérape sans avoir progressé, un effort abandonné sur le bas côté. 

J’atteins le poste frontière bolivien, c’est ici que je rencontre Lucas, un français qui vient de réaliser le même parcours que moi en le faisant à pied. La différence de km parcouru par jour est faible, la consistance de la piste souvent ensablée et toujours en tôle ondulée empêche de tenir une vitesse moyenne convenable à vélo. Pour sa part il me rapporte que la marche l’oblige à porter ses litres d’eau, par portion 7-8 litres qui viennent s’ajouter à ses bagages et malmene son dos.

Je le sens très éprouvé de ces deux semaines et demi vécues dans un effort profond et passées dans le silence et l’isolement. Nous partageons un repas en attendant que le poste frontière ouvre, nous échangeons quelques anecdotes sur nos voyages respectifs.  Il m’est toujours étrange de pressentir une amitié qui n’aura pas lieu car nous sommes des individus-satellites, nous nous croisons par hasard dans la rencontre de nos cours et les probabilités que nos routes se recroisent sont si invraisemblables. Je sais que quand je réponds à l’appel de la route je fais un certain choix.

 

Nous reprenons chacun notre route, les 48km qui séparent la frontière chilienne de San Pedro d’Atacama sont une longue descente régulière et droite. Je reconnais avoir goûté avec joie à l’asphalte. Le vélo, bien chargé dévale la pente. L’odeur des freins à disque monte, je fais quelques arrêts, observe à ma droite l’autre face du Licancabur qui domine plus puissamment cette fois les vallées chiliennes. Il me rappelle dans sa manière de jaillir bien au delà des flancs déjà imposants de l’Altiplano, les tours de Jaisalmer qui s’extirpaient d’un fort aux murailles puissantes et rondes.

 

En contrebas sur ma gauche s’étend le désert d’Atacama. Je m’éloigne de la Bolivie, des lagunes de toutes les couleurs, de cet étrange plateau fait de toutes sortes de roches, comme s’il représentait là, à mi-distance entre la terre et le ciel, un grand laboratoire d’alchimiste.

Je n’ai retenu principalement que des photographies et des émotions intérieures, très peu de récits.

 

Dans la descente vers San Pedro d’Atacama mon esprit commence déjà à faire le triage, de reprendre les souvenirs, les filer, pour en préserver les jolis instants. En raison de l’altitude, le rapport à la mémoire est altéré, on entretient une mémoire de ce que l’on a vécu proche du rapport que l’on a avec nos rêves. Il faut encore après coup les braconner avant qu’ils se dissipent.

La route est maintenant ceinturée de maisons, San Pedro d’Atacama est là, dans son portrait étrange, celui d’une ville à la lisière de plusieurs déserts, de plusieurs frontières. Elle jouit de cette posture d’avant poste, s’imprègne de l’imaginaire de ses ailleurs. Caractère saillant. Elle est forte d’une population jeune qui associe la soif d’entreprendre à une filiation sacrée avec la nature. La formule, pas encore totalement pervertie, garde son charme. 

Des maisons bulles construites en terre d’où émergent d’autres bulles translucides qui servent d’observatoires du ciel, rues en terre battue,  linteaux faits à base de troncs de cactus, l’ambiance de western est préservée, mais elle ne tombe pas dans le pastiche ou du moins pas tout à fait. Dans le centre, il y a comme un art de vivre si maîtrisé et commun qu’il me procure une forme d’attirance/répulsion. 

 

L’absence de marge ou d’altérité me rend méfiant, m’incite à comprendre. Je vais plus loin, dans le quartier de la lune qui fait se joindre deux modèles. Le principe de propriété, fait d’une parcelle sur laquelle se développe une partie bâtie et une partie cultivée et d’un principe de réalisation qui s’appuie sur le bricolage et le recyclage des matières disponibles. Palettes, jantes de camion, verres brisés, la sécheresse dorée de la roche les unit, les larges avenues de terre battue s’ouvrent au grand silence du désert. J’observe derrière l’apparent lissage des objets, leur provenance. Utiliser l’objet manufacturé comme une matière première fait naître un double sens que je trouve poétique. Mélange de lotissement et de zad.

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Thomas
Porte
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