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Aout 2016

Birmanie . La route de Nay Pyi Taw

Barrages.

En descendant au sud d’Inlé en direction de Loikaw, je sais que je m’apprête à traverser un territoire plus controlé militairement.  Frontière thaïlandaise, population réfractaire à la junte militaire. Je le ressens rapidement. Je suis régulièrement doublé par des policiers en civils sur leurs scooters. Ils me prennent en photo avec leurs smartphone et je les vois sur les bords de la routes quelques centaines de mètres plus loin envoyer l’information à une base inconnue. Je m’amuse d’imaginer quelqu’un cloitré dans son bureau, collectionner sur un mur toutes ces photos de moi, additionnées à toutes celles d’autres promeneurs. Et lui de vivre par procuration, confiné dans sa routine, l’aventure des autres. Etrange scénario.

Vers 17h, alors qu’il me reste 20 kilomètres pour rejoindre Loikaw, un orage se pointe. Le ciel chargé, muri d’obscurité, est prêt à se déverser. Je suis arrêté à un checkpoint militaire. Ils exigent que je fasse demi-tour, ne veulent pas que je dorme dans la campagne. Je leur répond que si je fais demi tour, je dormirai aussi dans la campagne puisque la première ville est beaucoup trop loin. Rien y fait.

Le compromis est que je dois faire demi tour et qu’ils ne transmettent pas l’info en « haut lieu ». Je n’ai pas très envie d’avaler les kilomètres que j’aurais à reprendre demain matin, au premier monastère je m’arrête et demande si je peux loger pour la nuit.

Le bonze responsable est d’accord mais il doit prévenir la police d’immigration.

Un premier militaire vient, fait son cérémonial de salutations à chacun des religieux présents dans la pièce. Tous ces uniformes militaires et religieux me mettent mal à l’aise. Après 15 minutes de courtoisie maniérée, il s’adresse à moi, prend en photo mes papiers, me prend en photo. Il envoie on ne sait où. Il téléphone, me dit d’attendre par des gestes autoritaires. Un second homme arrive costumé de la même manière. Même cérémonial vis-à-vis des bonzes, mêmes courbettes, même affranchissement pour me regarder avec étrangeté. Retour du protocole des photos sur mon passeport des photos de mon visage, même discussions au téléphone. Ce protocole s’est répété quatre fois et je sens que petit à petit mes interlocuteurs occupent des postes plus importants dans la hiérarchie militaire. Visage plus fermé, l’aire plus susceptible. Il faut faire preuve de silence et d’écoute pour ne pas les froisser. Enfin, on m’adresse la parole différemment. Alors que c’était très protocolaire, dans un  rapport d’identité, superficiel et désincarné, on me dit de ne pas m’inquiéter, qu’ici je suis en sécurité. Abasourdi par la situation, j’ironise en disant qu’habituellement ce qui me fait peur ce ne sont pas les gens, ce sont sont les militaires et l’administration qui les légitime. Silence.

 

Malgré ces pas d’écarts, je suis accueilli pour dormir dans le monastère. Cependant un  militaire devra m’accompagner dans toute ma soirée.  Je pousse le vice en demandant à aller manger.

Suite à la longueur de cette procédure, il fait nuit noire et le village semble totalement endormi. 

Mais on trouve au bord de la grande route une famille prête à ouvrir pour me nourrir ( à ce moment là je ne sais plus faire la différence entre ce qui est normal et ce qui est provoqué par les autorités qui m’accompagnent.) 

Je mange en tête à tête avec mon surveillant. Je lui dis que je suis désolé, qu’il préfèrerait probablement manger avec sa famille, histoire de détendre l’atmosphère:

Il répond: it’s my job.

on en restera là.

 

Il m’a accompagné jusqu’à vérifier que je me glissait dans mes draps et il a installé la moustiquaire en cloche au dessus de mon lit. Le lendemain alors qu’à peine des teintes bleutées fendaient le le voile noir du ciel, juste avant le réveil des oiseaux, je suis réveillé par le chant des baby-bonzes se préparant pour leur procession.

Sourire.

Qu’y a-t-il du fond des routes de plus précieux que la délicate pudeur d’une serveuse qui se fend pourtant dans un sourire, la rendant témoin fébrile mais diligente, épargnant quelques instants la charge absurde de ces journées ? Par son simple sourire, le fardeau se dissipe et pour l’après-midi la route sera légère. 

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Descente.

Je reprend la route en direction du coeur du pays. Sortir du plateau. Retrouver les grands axes qui convergent en un centre Nay Pyi Taw. J’ai eu le bonheur d’une journée de descente à vélo sur une pente légère mais suffisante pour être tout à fait agréable. Le bitume fraichement arrosé par une pluie diluvienne matinale. La rencontre de cette eau et de la chaleur du goudron renvoyait un parfum d’orge qui attirait des centaines de papillon jaunes, concentrés sur les zones d’ombre qui retenaient cette moiteur. Ils s’envolent sur mon passage et je fends un nuage de battements d’ailes, un scintillement d’or clair. Plus bas, un camion a fait une sortie de route et se trouve 10 mètres plus bas, le bec dans un ruisseau. Tout le village s’emploie pour en sauver la marchandise. De bras en bras, on dirait une chaine de fourmis acheminant ses grains, les collectant dans un grenier commun.

Absurde.

Avant de découvrir la Birmanie, je m’étais un peu documenté sur cette capitale. 

Je sais qu’il y a dans chaque récit une part de mythe, chacun interprète un phénomène en fonction de sa sensibilité, il en accentue certains traits.

Nay Pyi Taw, c’est la toute nouvelle capitale birmane, proclamée par la junte militaire. Construite de toute pièce sur une zone jusqu’alors agricole. C’est sous l’influence d’un « voyant » que le gouvernement en a choisi l’endroit. Peu informé jusque là, le peuple découvre incrédule que Yangon est destitué. Avec ça le déménagement de son gouvernement et l’existence de cette ville nouvelle, moderne et centrale. Chaque période de souveraineté aime assujettir un territoire qui sera le visage de sa posture. En période de dictature, l’appui sur l’architecture et l’urbanisme pour exprimer la langue d’une politique est encore plus limpide. A une échelle moindre, la BNF de Mitterand et le quai Branly sont des copies plus douces de cette procédure.

Cette capitale, récemment née est censée manifester la puissance de la nation et surtout des personnes qui la dirigent.

Alors elle se vautre dans un gigantisme aux mesures aberrantes. Les rues sont composées de 2 fois 7 voies parce que c’est le chiffre fétiche national, elles traversent des champs où paissent placidement des troupeaux de buffles. Parfois, je croise une voiture. En pleine heure de pointe, je m’offre cet unique bonheur de me rabattre de 7 voies à vélo. L’épaisseur de la route est une invitation, l’asphalte se transforme en territoire.

 

Parmi les décisions « farfelues » de la dictature militaire. Il y a eu le changement de sens de conduite. Autrefois on roulait comme les britanniques à gauche. Puis on s’est mis à rouler à droite. Heureusement je n’ai pas assisté au chaos que cette modification radicale à dut provoquer dans un pays où la circulation de l’information est assez mal maitrisée. J’imagine la période où il a fallut inverser tous les panneaux signalétiques du pays, repeindre toutes les routes. Dans certains secteurs, la manoeuvre n’est pas totalement achevée.

Le parc automobile dans sa grande majorité témoigne encore de cette époque et se trouve donc inadapté. Les automobiles ont leurs chauffeurs à droite alors qu’elles roulent à droite, ce qui est très confortable pour nous cyclistes. Ca devient en revanche beaucoup plus inconfortable quand ils prévoient de doubler.

Cette bizarrerie est encore plus manifeste sur les bus qui déversent leurs passagers au milieu de la route au lieu du quai.

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Thomas
Porte
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