Aout 2016
Birmanie . Le lac Inlé
Lumières de plateau sur le lac Inlé. Au loin, l’épaisse jungle d’un vert-noir profond est percée par une flèche dorée ciblant le ciel. Ici, entouré de montagnes, plusieurs ciels se rassemblent et avec eux toutes les saisons.
Pêcheurs équilibristes au regard narquois ; Jardins flottants longs comme des trains tractés en wagons par des embarcations ; monastère isolé, campé sur ses pilotis au milieu du lac, recueillant d’innombrables chats. Ils galopent sur le lourd plancher de bois, derniers sons étouffés de cette fin de journée d’orage.
Dans cette altitude refermée par les cimes, un outre-monde se forme, hors des grandes routes, il impose son propre rythme.
L’obscurité était pesamment tombée sur le plateau. Vaste et épaisse, elle assiégeait les terres comme une armée ennemie, elle enveloppait minutieusement les aspérités de la campagne d’une chaleur étouffante. Des filets de musc remontaient de la terre pour venir suer à la surface, perler lourdement sur l’hérissement de l’herbe pour le courber. L’air accablant de la journée s’était maintenu et côtoyait maintenant l’obscurité qui lui conférait une nature plus inquiétante.
Je me réveillais par sursauts et dans un de ces moments de confusion, le voile de la nuit s’est soudainement déchiré d’une plainte effroyable. Tout portait à croire que deux chiens venaient de mettre à mort un chat. De cette scène je n’eus accès à aucune image, pris que j’étais dans l’exiguïté de ma chambre mal insonorisée. Ce que je vécu se constitua au travers de sons qui le rendirent certainement encore plus persistant. Si les images vues campent dans nos souvenirs en initiant parfois l’horreur, celles suggérées par des sons stimulent une frayeur mouvante alimentée d’imagination, un spectre qui s’immisce dans les agencements les plus ordinaires et se dérobe quand la raison tente de les éteindre.
Les hurlements de l’animal avaient déjà quelque chose de terrifiant. Mais quand ils s’interrompirent, le son changeât d’un corps tantôt tendu agitant l’espace autour de lui puis, l’instant d’après, ce même corps devenu lâche et agité dans le vide.
Cette variation à peine perceptible m’envahissait, elle s’imprimait en moi au travers d’images que je n’avais pas vues mais qui avaient poussé et éclos entre la rétine et l’esprit.
Face au manque de sens, elles émergeaient à la fois cruellement détaillées et multiples. Elles occupaient en rhizome toutes les pensées et accompagnaient chaque velléité d’échappée. Lorsque nous inventons les images qui côtoient nos peurs, celles-ci se parent d’un habit qui accroche l’attention sans lui offrir de point de fuite.
Il était troublant de savoir et de ressentir un souvenir s’inscrire dans la mémoire, un souvenir à la fois incertain et puissamment inscrit. A l’aurore, les herbages eux, n’auront rien retenu de cette mystérieuse tragédie.