Aout 2016
Birmanie . La route de Bagan
Bagan.
Bagan m’a laissé un sentiment mitigé. Le confort des routes, la présence de scooters électriques, les bordures immaculées. Ce site m’est apparu comme un eldorado de modernité apparaissant lumineusement dans un désert aux vertus plus traditionnelles en lesquelles je me reconnaissais mieux. Je pense que tout voyageur à vélo est sensible à ce ralentissement du temps véhiculé par la campagne.
De fait, le réseau d’infrastructures rutilantes conférait un caractère muséal à ce territoire qui ne demandait encore qu’à vivre. Il était désormais englué dans une toile d’asphalte.
Malgré ce sentiment amer, j’eus plaisir à naviguer entre les monuments de brique qui pointaient le ciel d’une flèche lascive. Chaque temple était comme une coquille, retenant une ou plusieurs représentations de bouddha. A chaque temple il révélait par son apparence une singularité de son caractère.
L’un de ceux qui me fascinât particulièrement, accroupi avait un trou au niveau de son abdomen. La tête du même bouddha se lovait dans la cavité. Métaphore à interpréter comme on peut le faire de ses rêves.
Cette scène était complétée d’un décor surprenant.
L’intérieur du temple en chantier était entièrement occupé d’un échafaudage en bambou. La maille resserrée, formait une trame régulière, géométrique, qui retenait son captif en soulignant ses rondeurs. Il était éclairé d’un neon bleu de chantier. Au plafond du temple, d’innombrables chauves souris constellaient funestement la voute.
Travaux.
Les routes birmanes sont fréquemment en très mauvais état. Du fait d’un manque d’entretient et d’un climat exigent, elles s’abîment rapidement sous le passage des transports de marchandise. Les routes sont rares et vétustes et il n’est pas rare de croiser sur le bas côté des habitants palier eux mêmes au déficit d’infrastructure. Ce sont des familles entières, parents et enfants qui s’attèlent à la confection des nouvelles routes. Ils le font avec leurs propres moyens dans des condition dignes de forçats. Le plus souvent les femmes sont chargées des travaux les plus physiques, du transport du goudron encore brulant, pendant que les maris concassent des pierres en gravats acheminés par la marmaille. Ces travaux laborieux me rappellent de quel héritage nous jouissons. De quels sacrifices de nos aïeuls nous sommes démesurément endettés. Que ce soit envers notre passé ou envers des peuples lointains, il est impensable de rétablir l’équilibre entre ce que nous offrons et ce que nous recevons.
Initialement, j’ai abordé la restitution de mes voyages par la photo. C’est un média que j’ai continué à utiliser. Mais cet outil s’est confronté à une limite. Par respect pour une scène en train de se dérouler, par anticipation de la pudeur d’une personne, d’un sujet, bien souvent j’ai été confronté à l’impossibilité de dénaturer ce qui arrivait en interposant mon objectif. Il restait dans son étui et je privilégiais l’oeil pour capturer l’événement puis l’écrire. Ces premiers exercices d’écriture m’ont révélé une dimension nouvelle. Il n’était plus question d’équilibre, d’harmonie dans un cadre, de balance de gris, mais de musicalité des mots, leurs chants, leurs champs. Progressivement, la palette s’étoffe d’une nouvelle dimension de la couleur, d’une nouvelle observation des formes. Elle affute par réciprocité, l’attention du regard. Car oui, je me sens, dans l’apprentissage de cet instrument, poursuivre une transformation.
Je m’aperçois que mes mots sont rarement motivés par des suites d’actions. Ce sont des tableaux courts dans le temps. Des instants de captures sur une plaque photosensible, sur une rétine sous le révélateur des mots.