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Aout 2016

Thaïlande . Bangkok

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L’été 2016 a été la période où j’ai choisi de franchir le pas. D’enfourcher l’animal mécanique pour m’imprégner plus assidûment des joies de ces balades à vélo. J’avais déjà expérimenté des longues promenades d’une centaine de kilomètres sur une journée, mais je n’avais encore jamais essayé de les réitérer le jour d’après et puis celui d’encore après et ainsi de suite.

Je rêvais de découvrir la Birmanie en raison d’un précédent voyage en Asie du Sud-Est qui m’avait profondément ému et qui m’avait attaché aux caractères de cette région du monde.

 

Je me souviens de l’appréhension, du vertige que cela provoquait quand je m’envisageais dans un tel parcours. Vertige initié par l’impalpable de la projection.

Cette appréhension s’était accentuée quand j’étais allé à Cerbère (ça ne s’invente pas) consulter un médecin une semaine avant mon départ. (L’anticipation, c’est pas mon truc, j’oublie d’y faire appel et si aux prix d’efforts sur ma personne, je l’exerce, c’est le plus souvent l’occasion de belles déconvenues. Alors je laisse à cette prétendue vertu une certaine distance pour m’en préserver. La spontanéité me sied mieux.)

J’avais dit à ce médecin de campagne que je partais en Birmanie dans une semaine.

-Ah oui? alors ça c’est pas banal. Vous allez y faire quoi?

-Je compte voyager sur place pendant un peu plus d’un mois à vélo.

-Ah oui vraiment ça c’est pas banal. Et vous êtes nombreux?

-Non non j’y vais seul.

-Alors là, si c’est banal une affaire comme celle là?

Le décor était posé. 

Je partais seul, sans vélo, sans visa avec un minimum d’affaires. Atterrissage à Bangkok pour quelques jours de préparatifs.

 

J’ai retrouvé avec Bangkok l’énergie frénétique des grandes concentrations sud-asiatiques. L’étourdissement provoqué par le flux incessant. Le vrombissement continu  qui s’étalait en échos dans les dédales de la ville, se frayant parmi la végétation épaisse, les amoncellements de béton de métal et de plastique. 

On a l’impression d’une terre meuble qui s’agite. Que les malls, les ensembles de gratte-ciel, les imposants échangeurs routiers vacillent et s’enfoncent dans les cours des canaux d’un delta repu d’eau.

Ca végète, ça s’agite mollement d’une puissance contenue en ses flancs et du fait d’une chaleur lourde et moite, ça monte à la tête, agit comme une fièvre.

Vapeurs huileuses des stands de nourriture, nappes de kérosène  à l’entrée d’un atelier, odeurs de l’acier de graisse, volutes qui prennent au coeur.

 

Bangkok n’est pas soumise au régime des cycles journaliers. Les lumières artificielles ont encouragé une concentration de noctambules, une multiplicité des vies auxquelles la vie à son tour répond.  L’animal et l’environnement se réinventant sans cesse dans une course effrénée de stimulus, d’expériences.

La sollicitation des sens est sans accalmie, les jours ne débutent pas ni ne finissent. Ajouté à cela ma perte de repères temporels en raison d’un long voyage d’une vingtaine d’heures, ces premiers soirs je portais avec plaisir mon costume d’insomnie. La suppression du cycle exacerbe le sentiment d’étrangeté, le déplace dans une sphère autre que celle de la différence culturelle. Elle libère des conventions, fait vivre l’expérience sur la partition du temps continu. L’esprit découvre une transe du ressassement.

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Le long des canaux de Chom Thon, la rive était prise d’assaut par des cabanes de fortune, conglomérés de résidus, de bois, de métal aux origines diverses, assemblés à la ficelle, noués ici et là. Rencontre incongrue de formes s’épousant par la curieuse réciprocité de l’usure. Ce hasard provoquait des associations sympathiques, clins d’oeil moqueurs à la raison. Par exemple, un portrait orné d’or d’un ancien roi Thaïlandais servait à contreventer le quatrième mur d’un enclos à poule. Ailleurs, l’ancienne bâche d’une publicité pour une cosmétique laissait à une belle iris féminine percer la fente recourbée d’un amoncellement de tôles, lui conférant des paupières resplendissantes de reflets métalliques.

 

Une suite de temples dadaïstes qui ne se revendiquent pas, animistes par nécessités, autels d’objets et pensions d’hommes. On traversait ainsi les salons en longeant les canaux sans aucune inimitiés, parfois invité à prendre un thé. Cette manière dont tout un amas de matière s’érigeait, formait une voute accueillante pour s’épancher jusqu’au sol dans un faisceau de cordes auxquelles suspendaient des cages d’oiseaux. Cela rappelait étrangement la silhouette du banian. Arbre imposant et fréquent dans la région dont Claudel en avait fait une superbe description. 

Je garde dans ma tête ce projet de vivre une année dans une de ces villes sud asiatiques pour prendre la mesure de l’assemblage, pouvoir laisser mon attention en capturer chaque détail. Observer cette force vitaliste du singulier exacerbée par l’agitation d’ensemble.

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Thomas
Porte
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