Août 2018
Tadjikistan . Festival équestre
Suite à la vente de mon vélo, je dois me déplacer en stop, m’arranger avec des automobilistes qui quitteraient Murghab en direction de la frontière kirghize.
Une voiture s’arrête, le conducteur est d’accord pour m’emmener jusqu’à Osh, c’est bien plus qu’espéré. Il me dit cependant que nous ne pouvons pas partir immédiatement. À une vingtaine de kilomètres de Murghab en direction de la frontière chinoise, il y a un festival équestre à ne pas rater. Il me propose de les accompagner lui et sa famille. C’est une chance unique d’assister à un tel cérémonial et j’accepte bien évidemment.
Les courses se déroulent sur un grand plateau serti de sommets dépassant les 5000m. C’est une arène immense, couverte de rocaille à perte de vue. On voit distinctement l’ombre des nuages filer d’un bout à l’autre comme une réflection fidèle du ciel. Ils entament l’ascension d’un sommet, puis d’un autre, ils semblent faire respirer toute la chaine de montagne dans ce gonflement de lumière et de dépression. Aucune construction sur l’ensemble du plateau, pour l’occasion les organisateurs ont seulement aménagé une yourte officielle pour décerner les prix. Elle est prolongée d’un marquage de pierres peintes en blanc qui n’est pas sans rappeler le tracé d’une nef.
Plus loin, deux lignes parallèles et distantes d’une vingtaine de mètres sont réalisées avec le même dispositif de pierres peintes. Ces formes géométriques basiques ressemblent à du landscape tant elles détonnent en contre-point de l’étendue organique du plateau.
Peu à peu, spectateurs et marchands arrivent . Finalement un groupe de 400 personnes s’est rejoint là pour assister à la course. C’est un jour de fête, les jeunes filles ont sorti leurs robes de bal avec froufrou et paillettes. Les hommes ont leurs habits et leurs chapeaux traditionnels. Je mesure le privilège de me trouver ici. Privilège qui s’est dessiné du fait de m’être rendu disponible, d’avoir dévié des grandes routes et des formes organisées. Se saisir de l’imprévu comme une opportunité plutôt que comme le deuil de ce que l’on avait envisagé.
Au milieu de la foule, des petits groupes préparent une vingtaine de chevaux.
Un son de corne fend le brouhaha, silence, puis l’écho de la corne revient.
La course vient de débuter. Les cavaliers se frayent un passage à travers la bousculade de l’assistance qui s’organise peu à peu en deux groupes de part et d’autre des deux lignes blanches.
Les chevaux sont partis en ligne droite on les perd de vue, ils sont déjà à plusieurs kilomètres et ils se confondent aux montagnes à l’autre bout de la plaine.
Autour de moi les gens s’assoient, discutent vont acheter à un stand quelques camelotes chinoises. Moi, j’attends le retour des chevaux, j’attends longtemps. J’attends très longtemps. Une heure passe. Je me décide à faire comme les autres, à flâner, observer les relations humaines, grignoter une brochette.
Enfin un frémissement. On apprend que le premier se rapproche de l’arrivée. Tout le monde se positionne de nouveau derrière les lignes blanches sous l’autorité guignolesque de deux policiers se prenant un peu trop au sérieux.
On attend encore. Puis les concurrents arrivent enfin après plus de deux heures. Les chevaux sont grimaçants, de leur gueule sort une mousse épaisse et leur corps luit de sueur. Il faut dire que les cavaliers n’ont pas des physiques de jockeys, habitués aux matières grasses pour passer l’hiver, à chaque galop ils retombent lourdement sur leur monture.
J’apprends d’ailleurs que pendant la course, un des chevaux est mort.
Plus tard alors qu’on a pris la route pour Osh, je demande au conducteur pourquoi ils ne font pas tourner les chevaux en rond, comme ça les spectateurs les verraient plus.
Il me répond « Mais quel intérêt aurait un cheval de tourner en rond ? »
J’aime bien cette réponse et ce qu’elle induit dans le sens des priorités.