Janvier 2017
Vietnam . La route jusqu'à Méo Vac
Des petits nuages qui caressaient la nuit comme des rêves. Ils avaient des formes voluptueuses et légères et étaient presque absents. Pourtant, du fait d’une simple contraction, ils signaient l’immensité de leur apparition, puis, les particules poursuivaient chacune leur mouvement propre, elles s’éloignaient et la forme s’estompait.
J’y pressentais une grande sérénité. La présence pouvait relever de cette douceur, être avec l’absence de rupture dans un faisceau de rencontres qui prenaient quelques temps l’aspect d’un corps, celui-ci était blanc et n’altérait pas sa destinée du joug d’une conscience ou d’une lucidité.
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L’espièglerie est toujours photogénique, peut être en raison de la connivence qu’elle engage entre le photographe et le sujet au regard d’un contexte dans lequel il est mis en scène. Sa manière de chercher des yeux un appui pour s’extraire du champs. Pour le regardeur, à la manière des peintures de Hooper, la frustration fait grandir l’appétit de connaissance. Mais il faut encore que les traits du sujet photographié soient dans l’insouciance, capturé à l’instant d’incertitude, dans leurs traits de chasseurs.
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Dans la cohue du marché, les chaises en plastique éclairées par le néon haranguent de leur couleur criarde un mur sur lequel, la graisse, la cendre et de vieux papiers journaux jaunis forment une griffe dadaiste.
Mais personne pour jouer le rôle de l’auteur de ce décor tragique.
Seule, sans assistance, provenant du foyer, la vapeur atténue l’éclairage du néon. Pourtant, dans la pénombre, il semble bien qu’une figure attend, elle parait totalement désoeuvrée.
Quelle désinvolture permet d’accéder à un tel régime d’existence?
J’éprouvais une certaine fascination pour les personnes occupant des postes haut-placés dans l’administration. On leur confiait la même tâche qu’aux généraux d’autrefois, à savoir, employer le temps d’un personnel très nombreux qui ne doit surtout pas succomber à la vacance ni découvrir l’oisiveté. Pour cela, il fallait en permanence inventer de nouvelles missions. Dans cette campagne parsemée de forêt, on recense tous les eucalyptus, en les classifiant selon leur distance par rapport à la voie de chemin de fer. On en creusait l’écorce, le corps de l’arbre noircissait et on peignait un matricule en blanc, en respectant l’orientation nord-ouest qui avait été choisie. « Connaître c’est anticiper, et anticiper c’est dominer. »
La devise était froide et simple à retenir. Dans ce contexte, elle avait quelque chose d’incontestable. En Inde à la différence de l’Europe, ces travaux d’inventaires n’en sont qu’à leurs balbutiements, l’emploi est encore considéré essentiellement pour des contingences pratiques. Il y avait cet enthousiasme face à tous ces vides à recenser dont il fallait observer la variation des propriétés, puis classifier, cartographier.
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Après avoir fondé la forme des choses, la nature leur confère une conscience extérieure qui les nomme, les compare, fait de l’alchimie, tire d’elles nomenclature, métaphore, analogie.
L’existence avait su mettre à disposition de la vie une myriade de créatures qui avaient par la suite inventé par ses propres initiatives liées aux rencontres, matières, organes, agencements, des formes et des caractères. Chaque espèce poussait en elle-même, s’élevait sans le savoir, guidée par des intentions obscures.
Parmi ces créatures, il y avait l’homme, dont l’une des propriétés était de s’imprégner indépendamment et consciemment de cette diversité. Il était un accélérateur d’enthropie, développant par la conscience le procédé lié à la matière sur celui de la manière. Il réinsérait au sein d’une même espèce cet éclatement des caractères.
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Je suis dans l’ici, en et avec lui, je ne me soucie que de l’instant en cours de déploiement, initiant le germe de l’après. A la manière d’une vigie, j’aiguise mon regard à reconnaître le pré-multime et dans cette aspiration, il m’est difficile de me souvenir de ce que j’ai vécu.
Dans la traque des papillons se dissimule une attraction. La chasse ne peut pas être réduite à une barbarie, mais elle esr également la recherche d’un proximité avec le sujet chassé. Par la quête l’intention est de le découvrir toujours un peu plus précisément. L’attention portée stimule et se nourrit de sens, irrigue les r^ves.
/Certains collectionnent les papillons. Ils les traquent parce que la chasse les amène à les connaitre avec une plus grande précision. Cette proximité qui s’instaure déploie les sens, irrigue les parties rêvées qui se prolongent bien au-delà de la rencontre première.
L’origine qui se cristallisera par une répétition d’actions en état, est issue d’un amour. La chasse s’accompagne d’une reconnaissance toujours plus active, plus vibrante. Il en était pour moi ainsi avec les scènes de vie. Ce qui avait été dans un premier temps une contemplation fondée sur le visuel, une sorte d’esthétique de situation, s’était peu à peu transformé. J’ai désiré soulever les plis pour découvrir ce qu’ils dissimulaient, délier les histoires, voir ce qui dans la couture avait cette verticalité invraisemblable qui convoquait en une forme de nouveaux territoires, parfois imaginaires, fictifs, fantasmés, d’autres fois plus graves, épais et historique. L’objectif n’étant pas d’y mettre un terme, mais plutôt d’en chercher les épices.
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J’ai vu des épouvantails au milieu des rizières à qui l’on fait porter le voile. Je serais curieux de savoir si le corbeau sait apprécier ce détail. Avec la lumière qui dore la brume du soir, les tissus se balançaient exhibant leurs couleurs saturées de safran.
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Je jouais sur le diaphragme de ma lucidité pour la grandir de ses territoires inexplorés.
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Faire que les paupières se recourbent, ailleurs comme ici. Rompre ce qui prédéterminait les paysages soit en corps soit en écorce. Le corps, cette sueur froide, cette sève, substance mobile en attente. L’écorce comme un corset, sécrétion pétrifiée portant avec elle la signature de sa cristallisation comme une empreinte, noble par le passage et désormais expressive que par sa forme, loin de la pulsation, de l’odeur et de la saveur des corps. Partir pour être et demeurer parmi les corps.
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Eclat roux du paysage d’automne, scintillement de l’épuisé, visage rondit de fatigue et pourtant apaisé mais repu d’efforts, de conquêtes, d’expériences. Déclin sage et serein, parsemé ici et là d’or, tenu à l’extrémité de brindilles fraichement formées. Toute la parure d’un tronc qui porte également le masque de ses années.
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Le sol ferrugineux aggravé d’humidité en contraste d’un sable où, irrémédiablement toutes vertus glissent. Et les silhouettes épuisées des bosquets noirs, fleuries et perlées d’emeraude encore en pleur. Ils se dressent sur elle comme le prolongement naturel des premiers vers tirés à Orphée.