Août 2018
Kirghizistan . La route d'Osh
En descendant des hauts plateaux du Pamir en direction du nord, le paysage subit une transformation remarquable.
Alors qu’il était composé de matières brutes, une eau impétueuse et une roche ciselée, ici , par un effet de tempérance du sous sol la surface s’aplatissait légèrement et le mariage des eaux et de la pierre avait été engagé. Les lits des ruisseaux se tapissaient de limon, ils se prolongeaient en terre sur laquelle une végétation rase, peu diversifiée mais abondante poussait.
Le vert fluorescent de l’herbe s’étalait, colonisait les flancs des collines arrondies par l’érosion .
Par endroit simplement ternie par l’ombre du ciel, la campagne renvoyait tel un miroir la sérénité du ciel.
Dans l’immensité de terre qui se déroulait là sous mes pieds, comme dans le prolongement de brins d’herbes, se balançant juste au dessus, les têtes énormes du bétail se tendaient vers le sol. Troupeaux de moutons, cheptels de chevaux, hordes de yacks, tous libres habitants du territoire immense, ils ruminaient tout le jour comme si le temps n’avait jamais existé. Seuls les nuages progressaient et je les voyais glisser sur les collines, elles semblaient ainsi respirer.
Le passage du Pamir (4000m) aux vallées kirghizes ( 2700m) justifiait ce changement de paysage et cela avait de grandes répercussions dans les modes d’habiter.
Sur les hauts plateaux, on adapte la construction au manque de matériaux. On se protège du froid par l’inertie de la pierre, on creuse comme un terrier dans la continuité de roche et chaque maison se fond humblement dans le paysage, membre discret d’une montagne. On a sacrifié un des rares peupliers qui poussait sur la berge du torrent. On en a perdu l’ombrage et l’assèchement du sol se poursuit. Maintenant son bois sert aux piliers et à la charpente de la maison. Mais on garde la mémoire de ce qu’on lui doit.
En effet, chaque maison du Pamir est composée d’une grande pièce principale où trônent cinq poteaux et une charpente en cinq hexagones se resserrant auréolés d’un vide qui ressemble à un œil sur le ciel. C’est la seule fenêtre de la maison.
Chacun des cinq piliers porte le nom d’un des membres de la famille du prophète.
On y accroche des portraits de famille des offrandes tels des épices, des fleurs séchées, des petits colliers de pierres.
Sur les murs, ils ont tendus de grandes affiches plastifiées , des images de cascades entourées d’un oasis de verdure. On s’accroupit autour d’un tapis que la maîtresse de maison a pris soin de dérouler. Il sert de garde manger et conserve des dizaines de bugnes. Ce sera le repas avec le beurre rance de yaks. Certaines semblent beaucoup plus rassies que d’autres. Je cherche discrètement les éléments les plus tendres. Nourriture fermentée et âpre.
L’habitât kirghize est très différent. Les troupeaux changent de pâturage chaque saison et les familles les suivent. Les yourtes sont légères, simples à démonter, mobiles, faites de la peau des bêtes.
Parfois une remorque de camion est transformée en un immeuble collectif de ruches, parfois c’est la conversion d’un conteneur en petite bergerie.
Tout laisse suggérer la transhumance, le mouvement. J’aime l’idée d’un patrimoine mobile, rendant ainsi son propriétaire libre, mais aussi et surtout laissant la terre appartenir à tous.
Dans plusieurs grandes villes kirghizes, les trottoirs sont recouverts de grandes armatures métalliques qui forment comme des arcades. Des vignes y grimpent et recouvrent entièrement sur des dizaines de mètres les passants. D’innombrables grappes de raisin pendent à portée de main. Libres d’accès les fruits sont gonflés de soleil et explosent dans la bouche pour dispendier leur sirop.
La générosité des trottoirs se poursuit au sol d’un jeu ingénieux de petits canaux et d’écluses qui irriguent des potagers séparant les piéton des axes automobiles.
Au centre d’Osh, un parc d’attraction semble s’être fait surprendre par la poussée des arbres. Les manèges et les branches se frottent et comme une emblème, un avion de l’ancienne urss se trouve là, entre deux plateaux, prisonnier de la verdure.
Je trouve toujours fascinant d’observer que sur des territoires si proches, la nature n’offre clairement pas les mêmes opportunités et il est toujours émouvant de découvrir à quel point elle façonne différents régimes d’existence. Les variations restent particulièrement visibles sur ces territoires reculés.
La modernité tend à artificialiser les modes de vie à assimiler les aspirations individuelles dans un type d’existence commun.